Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Soleil et Terre
19 octobre 2014

Purification

 

IMG_9966 - Copie

Purification

Juste là, sous la tempête, le cœur léger. Le seul repos pour se reparer mène au pré des ânes. Les amis de tout un peuple, d'une longue génération, des travailleurs silencieux, à la crinière solide ou frangée. Il pousse avec sa tête son contentement à la présence. Elle frotte ses flans à la meilleure main. Ils sont unis.

Le lieu de la sweat-Lodge n'est pas très loin. Passer sous deux cèdres géants, traverser la prairie. Sortir le bois ramassé sous la neige. Préparer le bucher. Les pierres sont recouvertes déjà de blanches cristallisations et les mains habiles se glacent, le rouge est sanguin. L’implacabilité du froid, saisissant. Il faut encore du bois, se rendre à la grange et nettoyer l’espace s'ouvrant à la cérémonie. La neige en abondance est inspirante à souhaits.

Allumer un feu. Mais pas n'importe quel feu. Ou plutôt, avec la conscience du feu. Un premier chant s'élève, vers le ciel, vers la terre, vers l'ouest. Les esprits sont invités. Ils écoutent, ils entendent. Le cœur est en vibration. Un silence feutré se déploie en écho à la neige. Le son préserve l'origine de la communication. Les protecteurs, les guides, les ancêtres, les animaux, les végétaux, les minéraux, l'esprit de l'eau, du vent, du feu, de la terre. Que ce monde accompagne le craquement d'une allumette au sein de toutes les directions, et que la première flamme se manifeste avec douceur et énergie. Cela nécessite une attention rigoureuse pour que les flammes puissent atteindre le premier plancher. La présence. Un travail minutieux accompli avec le soin de chaque geste en combinaison avec l'intention. La volonté personnelle ici fait office d'entrave car il s'agit de se lier aux éléments qui nourrissent et maintiennent la montée et la descente de l'énergie. Les portes s'ouvrent et le feu s'alimente dans la douceur. Les premières hautes flammes caressent le bois, effleurant aussi quelques pierres, les Grands-Mères. Il y a de la sensualité et les premiers frémissements soulèvent par la racine l'arbre des sept déités. Peu à peu, les Grands-Mères prennent du volume, elles rosissent, elles rougissent, elles observent.

Quatre ou cinq tours de couvertures reposent sur la structure. La porte demeure à l'ouest, face au feu. C'est la hutte. Douze perches de bois de saule blanc à la verticale et ramenées vers le centre en formant une étoile, quatre tours à l'horizontal, symbolisant les quatre mondes, plus un cinquième.

Les pierres chaudes au cœur du bûcher, incandescentes pour certaines, est un appel à revenir au centre de la terre. Une première émotion, indescriptible. Puis cette première peur qui envahit les pensées, une sorte d'émoi qui s’engouffre dans l'instant premier. Juste avant de sauter, juste avant de se courber, de toucher la terre. L'instant de se rassembler devient essentiel, une sorte d'instinct de survie mêlé à la conscience d'être. Cette crainte se trouve aux abords de l'imperfection, se diluant en essence dans l'espoir et l'illusion, cristallisée dans la projection d'un mouvement qui s'échappe déjà dans un futur né d'un rêve. Cette crainte révèle l'expérience d'exister, de mourir et de naître.

D'une étrange solitude, la sweat-lodge se remplit. L'appel est puissant. Les douze Grands-Mères sont déposées au centre de la terre. L'intérieur de la matrice est éclairée par cette lueur rouge, chargée de l'énergie du feu et du vent. Le sceau du verseur d'eau respire la légèreté. Il s'est rempli de neige. Des cristaux voletant depuis l'infini.

Le premier chant se révèle à la naissance du guerrier, de tous les guerriers. L’esprit, le Grand Esprit reprend sa place au cœur de tout ce qui est. Un atome au sein du grand univers. Puis des millers d'atomes, un déploiement à l'infini.

Prier pour la vie, l'apaisement, l'amour et la transformation. Prier pour la protection, la guérison et le pardon. Prier vers les ancêtres, une lignée qui a transmis la vie et remercier. Remercier l'être, les êtres, la création, tout ce qui permet d'ouvrir son cœur et d'évoluer en conscience de l'autre, du monde, de l'univers. Remercier la cellule mère et s'y abandonner.

Douze Grands-Mères encore. D'autres Grands-Mères ! Prier encore, encore, encore. Pour les femmes, leur ventre, leur utérus, leur sexualité, inspirer jusqu'à la mise en conscience de l'homme, au delà du sacré, le traversant jusqu'à la nature de toutes choses. Prier encore ! Pour les enfants qui naissent, pour les enfants naissants... Prier pour que la moindre souffrance se dissolve dans le souffle de vie qui traverse chaque corps, chaque être. Prier et verser l'eau sur les pierres. Prier pour les Grands-Mères de tous les peuples. Parce qu'elles portent la transmission de la vie. Parce qu'elles sont le lien de toutes les mémoires du monde.

L'essence de pruche accompagne cette dernière porte, ce dernier passage vers la purification des quatre corps : physique, émotionnel, mental et spirituel, ou corps de la transformation. Fluidifier l'énergie qui circule en abondance afin qu'elle ne stagne pas et ne se densifie pas. Toutes les petites morts personnelles se dissolvent dans les tourbillons de l'étuve. La pression est si forte que la voix doit porter jusqu'à l'aigle par un chant. Ce chant est un appel à la délivrance, à l'ouverture du cœur, à la purification et à l'abandon total. Il est un saut dans l'infini. L'aigle plante ses serres dans la poitrine et dans le dos, et il s'envole vers des terres pures et sans retour.

Nu, entièrement nu. La sexualité est présente à la naissance de l'être. Elle remplit le corps. Et le corps se nourrit de cette énergie translucide. La douceur. L'esprit s'en ressent, au sein d'un corps pur. Celui-ci se relie aux clans des origines. L'origine au sein de la grotte. Des peintures, des gravures, des signes, des animaux. Le mystère. L'alignement des bisons sur la piste...

Sur cette terre Grand-Père, le peuple bison avance, sur sa peau, sur son écorce. Il avance et fait circuler l’énergie. Le peuple bison chante et il frappe sur le tambour du cœur. Il foule à grande vitesse la grande prairie. Juste au cœur et une voix perce le corps brûlant et brulé, il le coupe jusqu'à la saignée. Le sang coule, la peur coule, l'espoir coule, l'imperfection saigne d'un rouge cellulaire. Les mémoires se transmuent. L'être baisse la tête, épuisé. Il courbe l'échine vers le sol. Il touche le sol. Les pierres chantent l'alchimie du feu et de l'eau, de la terre, du vent.

La porte s’ouvre. La jointure entre l'intérieur et l'extérieur. La sortie et l'entrée en simultannée. La terre et le ciel, offrande de prières à tout ce qui est, à la connexion, à la reliance.

Oiseau des brumes et des clartés nouvelles, messager des sphères oubliées par la naissance du corps, prends dans ton envol les pièges sournois de la libération. Trouves les ennemis de ton œil perçant, qu'ils dansent le chant des esprits sans nom.

Que l’envol de ce monde prenne naissance dans tous les cœurs, dans toutes les âmes, au sein de toutes les errances. Que chaque prière se dissolve au moment où les cristaux du ciel touchent les pierres anciennes du fond de la terre. Le temps se dissout. L’espace se dissout. Les mémoires se dissolvent. L’aigle voyage au sein des prières, il suit le chemin du vent et s'élève avec les mouvements du ciel.

N'être plus rien ! Vide et pur ! La chaleur est au centre du haras, elle le remplit d'une sève devenue en essence le nectar de vie.

Le corps se déplie à cette nouvelle naissance. L'air froid pénètre dans les poumons. La neige se découvre à la nudité du nourrisson. La magie. La lune demeure silencieuse. Trois grands cris épousent la torpeur du moment. Le village réagit en aboyant à travers un langage canin. Le monde a-t-il entendu ?

Le feu, les braises, Grand-Père. Vers l'intérieur les yeux se ferment et voir la lumière de vie n'a pas de destination. C'est ici. La mort se montre enfin. Elle s'est approchée, présente et bienveillante aussi.

Un noyau lumineux se forme. Il bouge légèrement de droite à gauche. Son centre est jaune et le contour est sombre. Puis il alterne et la lumière passe du cœur à la circonférence. Il grandit visuellement et il se met à vibrer. Il n'éblouit pas. L'oreille écoute les sons d'en bas et d'en haut. Un visage à peine stylisé, éphémère, parle sans voix : Je t'aime. Les doutes, les inquiétudes se détachent de la pensée. Il reste seulement : Je t'aime.

L'énergie augmente, et l'intensité émane de toute part. Elle circule. La chaleur n'a pas peur du froid. Ils sont sensibles l'un à l'autre. L'alchimie se fond dans l'inconnu. Il est une vision qui peu à peu s'estompe. Plus rien n’est important, tout est là et rien n’est là.

Dans le feu, deux guerriers magnifiques. Ils observent la solitude épouser l'univers, le son se transformer en chairs, la lumière intégrer le sang et la rivière retrouver l'océan. Les migrations silencieuses guident les nomades dans leurs voyages, une conscience dans une main, une autre main au cœur. Le tourbillon ainsi s'éveille à la spirale. La dernière porte demeure ouverte.

Xavier.

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Soleil et Terre
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 4 128
Newsletter
Publicité